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dimanche 28 janvier 2024

La Baleine de Michel Pastoureau. sortie en Oct 2023. Prix 20€.



Peinture de Garneray
Le stock de la population de la baleine des basques a été estimé à 20 000 individu.

Résumé
La baleine, l'animal le plus grand et le plus lourd de la Création, a toujours fasciné l'être humain. Spéculations et fantasmes ont été d'autant plus nombreux que voir une baleine vivante a longtemps été rare. Son histoire est liée à celle de la mer, de la navigation et de la pêche. Mais elle est aussi en relation avec celle des savoirs et des classifications du monde animal. Chassée depuis le Néolithique, la baleine fut cependant mieux connue à partir du moment (au XVIIe siècle) où sa chasse quitta les côtes, les fjords, pour s'exercer en haute mer.
De la capture d'une baleine étaient tirés un grand nombre de produits alimentant un commerce fructueux. Une industrie baleinière vit progressivement le jour, mais elle devint si prédatrice qu'il fallut, au XXe siècle, limiter les prises et imposer des quotas. Entre-temps la symbolique de l'animal se modifia. Longtemps ce fut un monstre redoutable, au service des forces du mal. La Bible et la mythologie en faisaient un instrument de dévoration et les bestiaires médiévaux, un attribut du Diable.
La littérature moderne ne fut guère plus indulgente, soulignant sa cruauté : c'était l'ogre des océans, tel Moby-Dick, ce cachalot blanc et féroce dont Hermann Melville a raconté l'histoire. Mais plus on avançait dans le temps, plus cette image s'atténua et s'inversa : le monstre marin fit peu à peu place à une créature plus attachante, sinon pitoyable, injustement victime de la cupidité et de la violence des hommes.
Aujourd'hui, cette sympathique baleine est devenue une des vedettes du livre pour enfants et l'image emblématique de la planète en péril.

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CE QUE NOUS RACONTONS AUJOURD’HUI SUR LES BALEINES FERA BIEN RIRE NOS SUCCESSEURS D’ICI UN SIÈCLE OU DEUX


L’historien, spécialiste des couleurs et du bestiaire médiéval occidental, consacre son dernier livre à l’histoire culturelle de la baleine. Il y raconte comment notre regard sur cet animal marin a changé au fil des siècles et comment la progression des savoirs sur celui-ci illustre l’évolution perpétuelle des connaissances scientifiques.

Tumultueuse, c’est probablement le mot qui définit le mieux la relation entre l’être humain et la baleine au fil des siècles. De nos jours, ces géants des mers à la masse plus imposante que les plus grands dinosaures continuent de piquer la curiosité des chercheurs, tout en émerveillant le grand public. En danger d’extinction – à des degrés différents en fonction des 14 espèces –, son sort suscite l’indignation, comme lorsque l’Islande a récemment réautorisé sa chasse après l’avoir brièvement suspendue au nom du bien-être animal. Aujourd’hui symbole de la protection du monde marin, la baleine fut pourtant longtemps crainte par les hommes, raconte l’historien Michel Pastoureau dans son dernier livre la Baleine, une histoire culturelle (Editions du Seuil, 2023). Après le loup, l’ours, le cochon, le taureau ou le corbeau, le spécialiste du bestiaire médiéval occidental, directeur d’études émérite à l’Ecole pratique des hautes études, s’attarde sur l’histoire de ce mammifère marin, à la croisée des savoirs contemporains et ancestraux.

Que vous inspire le sort des baleines ?

Je suis très inquiet pour elles. Aujourd’hui, leur plus grave danger n’est pas tant la chasse que l’effroyable pollution des océans qui touche tous les animaux marins. Et malheureusement, il est désormais un peu tard pour les nettoyer ! Sans oublier le réchauffement, qui faire fondre les banquises et influe sur leur migration.

Comment expliquez-vous que la chasse à la baleine ne soit pas complètement interdite aujourd’hui ?

Presque tous les pays du monde se sont pliés à la règle. Seuls le Japon, l’Islande et la Norvège n’ont pas encore réussi à passer ce cap, même s’ils ont énormément réduit leurs prises. L’Islande avance l’argument de la tradition et du tourisme. D’après ses dirigeants, sans pêche à la baleine, le pays n’est plus rien. Les Japonais, eux, se nourrissent énormément de sa chair – dans le nord du pays en particulier, c’est ancré dans leurs pratiques. En revanche, le cas de la Norvège est plus nébuleux car son économie ne dépend pas de cette pêche. Après, nous sommes aveugles sur ce qu’il se passe dans les mondes russe et chinois.

Le tourisme baleinier fait de plus en plus d’adeptes…

Ce nouveau type de tourisme prospère et, comme toutes les formes de tourisme, il pollue. Les touristes s’approchent trop près des baleines, ce qui les perturbe, notamment dans leur communication entre elles. Je suis bien placé pour savoir qu’on peut s’intéresser à elles sans aller les voir directement. Je n’en ai moi-même jamais vu en vrai. Tout un courant d’ONG et de chercheurs souhaite restreindre voire interdire le tourisme baleinier, mais celui-ci fait vivre des populations dans des zones du globe où il n’y a pas d’autres ressources, c’est compliqué.

Quand l’histoire entre l’humanité et la baleine a-t-elle commencé ?

Le jour où l’on s’est rendu compte que la mer abritait des animaux colossaux. Nous n’avons pas retrouvé de documents attestant le lien entre l’homme et la baleine durant la préhistoire. Mais depuis l’Antiquité, l’homme sait que la mer contient de très grosses bêtes mal identifiées, comme en témoignent les textes mythologiques ou la Bible. On les pensait alors redoutables en raison de leur taille et de leur habitat, la mer, un monde où les dangers sont légion pour les sociétés anciennes.

Pourquoi une telle peur de l’océan ?

Parce qu’il est immense, inexploré et que c’est de là que les tempêtes surgissent. Regardez les villages bretons, ils ne sont jamais construits au bord de l’eau mais plus à l’intérieur des terres, les maisons tournant le dos à la mer. En outre, mourir noyé est une mort épouvantable, aussi bien dans l’Antiquité qu’au Moyen Age. Les chrétiens ne reçoivent pas l’extrême-onction et les rituels de funérailles païens sont impossibles car le corps a disparu. Jusqu’à des dates avancées, on a même hésité à sauver quelqu’un de la noyade car celle-ci est perçue comme une punition. On pensait que le noyé méritait son sort ! Sans oublier la mauvaise image des marins, ces êtres en marge de la société dont on se méfie car ils seraient querelleurs, alcooliques et se comporteraient comme des pirates. Jusqu’à la Renaissance, on pensait donc que les cétacés étaient des créatures épouvantables, mangeuses d’hommes, de femmes et d’enfants. Bref, des créatures du diable. C’est le dauphin, représenté comme un animal aux mille vertus et qualités, sympathique, pacifique, que l’homme couronnait «roi des poissons» à l’époque.

Qu’a fait la baleine pour sembler si démoniaque ?

Elle passe pour être pleine de ruses, vice suprême dans les sociétés anciennes. Le diable est l’être rusé par excellence, en plus d’être méchant. La ruse principale de la baleine, racontée dans moult textes du Moyen Age, consiste à se faire passer pour une île. Elle sort son dos de la surface des flots pour se chauffer au soleil et les marins s’y installent pour pique-niquer, allumer un feu… Tout d’un coup, la baleine se retourne et dévore tout l’équipage après avoir coulé le navire !

Dans quelle mesure l’histoire de Jonas dans l’Ancien Testament a-t-elle joué sur la représentation monstrueuse de la baleine ?

Le texte de la Bible n’est pas clair, on ne sait pas vraiment dans quel animal Jonas s’introduit. Les commentaires chrétiens en ont fait une baleine. Jonas est bloqué trois jours – durée symbolique – dans son ventre. La baleine devient naturellement un monstre dévoreur particulièrement méchant. Mais l’animal reste soumis à Dieu puisqu’il recrache Jonas comme demandé.

D’où l’expression «dans le ventre de la baleine» ?

Oui, d’un point de vue symbolique, l’intérieur de la baleine représente une sorte de caverne. Or, dans les légendes et les mythes, la caverne, la grotte ou encore la forêt sont des lieux propices à la métamorphose. On y entre dans un certain état et on en ressort dans un autre. C’est ce qu’on observe dans l’Ancien Testament : Jonas entre dans le ventre de la baleine fâché contre Dieu et en ressort prêt à lui obéir.

Est-ce parce que les baleines leur semblaient monstrueuses que les hommes se sont mis à la chasser ?

Au contraire, cela aurait plutôt dû les effrayer et les faire renoncer à les abattre. Les premières baleines recueillies par les hommes ne sont d’ailleurs pas le fruit d’une quelconque chasse : elles se sont échouées toutes seules sur le rivage des côtes norvégiennes dans l’Antiquité, au premier millénaire avant notre ère. En les dépeçant, on s’est aperçu qu’on pouvait en tirer de nombreuses choses : chair, huile, lard, ossements, fanons, tendons… La chasse à la baleine est née de ces intérêts socio-économiques.

Comment cette chasse s’est-elle organisée géographiquement ?

Après la Norvège, précurseur dans le domaine, les premières chasses en Europe ont eu lieu le long des côtes islandaises, irlandaises, anglaises, flamandes, picardes et normandes dans le haut Moyen Age. Elles consistaient d’abord à pousser les baleines vers les estuaires pour les forcer à s’échouer. L’étape suivante prend place au milieu du Moyen Age, à partir du XIIIe siècle. Les marins s’éloignent alors des côtes et se mettent à harponner manuellement les baleines dans le golfe de Gascogne où celles-ci mettaient bas en raison de la température plus douce de l’eau. Au XIIIe et XIVe siècle, les villes basques espagnoles et françaises se spécialisent donc dans cette chasse. Mais les stocks de baleines s’épuisent dès la fin du Moyen-Age ! Au XVIe siècle, les marins décident de remonter vers le Grand Nord, vers les côtes islandaises, l’archipel de Svalbard dans le nord de la Norvège puis vers les côtes canadiennes et l’embouchure du fleuve Saint-Laurent. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle, les colons nord américains créent ainsi la capitale américaine de la chasse à la baleine : la célèbre Nantucket.

Ce qui a mené à l’œuvre d’Herman Melville : l’histoire du cachalot blanc Moby Dick. Quel impact ce roman a-t-il eu sur la représentation populaire de la baleine ?

Ce très grand livre a été le réceptacle de toutes les traditions antérieures et a figé tout ce qui a suivi. Melville ayant lui-même été marin baleinier quand il était jeune, le roman est rempli de détails sur la chasse à la baleine. La psychologie des personnes, en particulier du narrateur et du capitaine Achab, est particulièrement riche, sans oublier les nombreuses digressions sur la société, la morale, le bien et le mal, la Bible, Dieu… Après ça, difficile de raconter des histoires de baleines ou de cachalots. Même Jules Verne n’y est pas arrivé avec Vingt mille lieues sous les mers, qui fut toutefois un immense succès en librairie.

A quel point cet animal illustre-t-il l’évolution des savoirs et des classifications zoologiques ?

A partir de la Renaissance, les connaissances ont assez vite progressé et l’image négative de la baleine s’est progressivement corrigée. On développe alors des curiosités plus scientifiques que légendaires. Bien qu’on sache depuis l’Antiquité grecque et Aristote que les femelles ne pondent pas d’œufs et allaitent, la notion de mammifère n’apparaît qu’au XVIIIe siècle environ. Avant, tous les animaux marins rentraient dans la catégorie «poisson». Ensuite, les baleines ont été qualifiées de «cétacés», mais cela évoluera encore. Tout ce que nous racontons sur les baleines en 2023 fera bien rire nos successeurs d’ici un siècle ou deux. Ça a toujours été comme ça. Certains collègues scientifiques pensent que l’on est arrivé à un état du savoir qui ne va plus évoluer, ce qui est absurde pour un historien. Nos savoirs d’aujourd’hui ne sont pas des vérités, mais des étapes dans l’histoire des connaissances.

Dans votre livre, vous mentionnez le fossé entre la connaissance scientifique des cétacés et celle du grand public, qui ne fait que se creuser.

Le divorce entre le discours savant de pointe et la société, le savoir ordinaire, est inouï. Mais c’est vrai pour tout ! Par exemple, pour la physique, le noir et le blanc ne sont pas des couleurs alors qu’elles le sont évidemment dans la pratique sociale.

Comment l’expliquez-vous ?

Dans le monde culturel et littéraire comme dans l’imaginaire collectif, les traditions, mythes et folklores pèsent un poids très lourd. On ne peut pas les balayer d’un revers de main car elles se manifestent par toutes sortes de vecteurs : le comportement, le style, les symboles, etc. Par exemple, de nombreuses personnes croient encore que le cachalot est le mâle de la baleine… C’est ce qu’on disait déjà au Moyen-Age ! Et malgré les recherches scientifiques, il va falloir encore des siècles pour qu’on oublie cette idée. Idem pour la corneille et le corbeau. De son côté, la science ne peut pas imposer ses vues puisque son savoir évolue, tout comme son discours, contrairement aux légendes, plus ancrées et solides.

Longtemps redoutée, la baleine a pourtant fini par devenir un emblème de la vie en péril…

Cette transition s’est opérée assez récemment, entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. A force d’être chassée, la baleine a fini par frôler l’extinction. L’être humain a compris qu’il était allé trop loin, qu’il était lui-même coupable et cruel. Durant cette période charnière, il y a eu un renversement des représentations d’un certain nombre d’animaux. Le regard sur la baleine s’est adouci. Elle est devenue un animal sympathique, puis, ces vingt-cinq dernières années, un emblème de la planète à sauver, à l’instar de l’ours polaire. La baleine et le loup, des animaux parmi les plus redoutés pendant des siècles, sont devenus de gentilles vedettes des livres pour enfants. A mon époque, c’était plutôt l’ours et le cochon. Désormais, on raconte l’histoire du grand gentil loup et des trois méchants petits cochons. C’est un fait culturel assez intéressant, qui montre que si les systèmes de valeur n’évoluent pas vite, ils ne sont pas immuables. En raison de son impact sur les autres espèces, l’être humain est ainsi devenu, dans nos imaginaires, le pire de tous les animaux.

Source: Libération

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La conférence avec Michel Pastoureau: https://www.youtube.com/watch?v=eR1cgqHuRjM

mercredi 10 janvier 2024

Réponse de Hélène Peltier suite à l'article paru dans Sud-Ouest Nature, je lui avait demandé son avis.

Bonjour Andréas,

Les dauphins en général ont une reproduction lente, et peu de petits par femelle, ce qui en fait le groupe de mammifères marins qui se remet le plus lentement des suites d'une pression anthropique.

Les différents seuils maximum de captures accidentelles proposés par les grands accords internationaux prennent cela en compte, plus l'incertitude autour du nombre de captures en mer.

Ainsi, le seuil OSPAR est de 985 captures de dauphins communs/an pour toute la zone Gibraltar aux eaux norvégiennes. Le PBR est de 4500 captures/an pour la même zone (avec d'autres objectifs de conservation). 

Les seules captures recensées dans le golfe de Gascogne sont déjà au delà de ces seuils pourtant calculés pour toutes les eaux européennes! Si on rajoute les captures dans les eaux espagnoles, portugaises, anglaises et irlandaises, on est TRES largement au delà.

Le bon Etat Ecologique de la DCSMM propose un seuil de 2000 captures dans le golfe de Gascogne. Avec 5 000 à 10 000 captures/an dans nos eaux, on voit bien que tous les seuils proposés sont très largement dépassés.

Et à travers l'analyse des animaux échoués, on commence à voir des changements dans les paramètres démographiques liés à la pression de la pêche sur les dauphins communs.

Donc on ne peut pas dire que les populations vont disparaître la semaine prochaine, mais en tout cas ça n'est pas soutenable à moyen ou long terme pour la population.

pour aller plus loin: https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/wp-content/uploads/2023/02/2022_Note-methodologique-Demographie_Pelagis.pdf

Bonne journée,

Hélène Peltier